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Dissonance cognitive: Quand la vérité est si douloureuse qu'on se ment à soi-même

  • Photo du rédacteur: Caroline St-Onge
    Caroline St-Onge
  • 5 oct.
  • 4 min de lecture
Personne marchant seule dans un brouillard dense, symbole de confusion intérieure et de dissonance cognitive.

Sophie est restée immobile dans l’entrée, les mains encore crispées sur son sac à mains. Elle venait de rentrer d’un souper d’anniversaire avec son conjoint et des amis communs. Pendant le repas, il avait lancé quelques piques, enveloppées d’humour, que tout le monde avait accueillies par des rires. Elle avait souri aussi, un sourire crispé qui lui tirait jusque dans les joues. Maintenant que la porte s’est refermée, son cœur bat trop vite, ses épaules sont raides — et pourtant elle se dit : « Je dois exagérer… » Tout en elle dit non, mais elle reste.


Marc est rentré du travail avec la mâchoire verrouillée et une tension sourde qui lui cerclait le crâne. Son supérieur l’avait félicité le matin devant l’équipe, puis rabroué sèchement en privé l’après-midi. Depuis, il repasse chaque mot en boucle : « Je devrais être plus résistant… je ne sais pas encaisser. » La colère monte, le sommeil fuit, et le doute s’installe.


Isabelle, elle, a pris un café avec une amie de longue date. Elle l’a écoutée parler deux heures durant, en ponctuant de petits sourires et de « ah oui ». Quand elle a tenté de se confier à son tour, le sujet a glissé ailleurs. Sur le chemin du retour, sa tête était comme brumeuse, ses épaules lourdes, son regard éteint. Elle s’est dit : « Je suis sûrement juste fatiguée… » Mais, au creux de sa poitrine, un vide familier est revenu.


Ces trois histoires ont un point commun : un décalage entre ce que l’on ressent profondément et ce que l’on se force à accepter. Ce décalage a un nom : la dissonance cognitive. Face à une vérité trop douloureuse ou menaçante, notre esprit cherche parfois inconsciemment à se protéger. Il se raconte une version plus supportable de la réalité… quitte à taire les signaux du corps.


Quand le corps crie et que la tête justifie

La dissonance cognitive, décrite par le psychologue Leon Festinger, est cet état de tension qui surgit quand nos pensées, nos valeurs et nos actions entrent en contradiction. Pour réduire ce malaise, le cerveau tente de réorganiser la réalité : il cherche à rendre l’incohérence tolérable, quitte à étouffer nos signaux d’alarme. Ce n’est pas un mensonge volontaire, mais une façon subtile de se protéger de ce qui serait trop douloureux à admettre d’un coup. Pourtant, le corps, lui, continue de parler. Le rythme cardiaque s’accélère, les muscles se crispent, la respiration se raccourcit. Le corps sonne l’alerte avant même que la conscience ne comprenne ce qui cloche.

 

Le système d’alarme invisible

Le corps perçoit en permanence une multitude de signaux venus de l’environnement. C’est ce que les chercheurs appellent un traitement bottom-up : l’information sensorielle et physiologique (battements du cœur, respiration, tension musculaire) remonte du corps vers le cerveau, parfois avant même que l’on sache mettre des mots sur ce qui se passe.


Autrement dit, si la gorge se serre, si le souffle se bloque, si le cœur s’emballe, ce n’est pas de l’imagination. C’est une réponse corporelle déclenchée par un contexte qui ne semble pas sûr.


Les neurosciences confirment ce rôle d’alarme. Des chercheurs ont montré que l’amygdale, une petite structure au cœur du cerveau, réagit en quelques millisecondes à des signaux menaçants, avant même que l’on en ait conscience (Diano et al., 2017).


Le corps devient ainsi un système d’alarme invisible. Il capte ce que la tête n’arrive pas encore à expliquer.

 

Quand le brouillard s’installe

Avec le temps, ce décalage crée un état de confusion intérieure. Le quotidien se colore d’une brume étrange. On avance en oscillant entre tension et épuisement, entre colère et inertie.


Les signes les plus fréquents sont :


  • tensions persistantes, mâchoires serrées, nuque raide

  • cœur qui s’emballe, souffle court, sommeil difficile

  • anxiété diffuse, impression de marcher sur des œufs

  • honte, auto-culpabilisation, pensées en boucle


Ces réactions ne sont pas des défauts personnels. Elles traduisent une incohérence trop lourde à porter. Selon Statistique Canada, environ 43 % des femmes et 35 % des hommes ayant déjà été en couple ont rapporté de la violence psychologique — un contexte où la dissonance cognitive est fréquente. Ce n’est pas “dans la tête”. C’est réel. C’est fréquent. Et c’est documenté.

 

Pourquoi on reste

Rester dans une situation qui fait souffrir ne signifie pas être faible. Cela signifie souvent que la vérité est trop douloureuse ou menaçante pour être regardée en face et que le système de survie tente de réduire l’inconfort. Pour tenir, le cerveau utilise des mécanismes de protection — il réorganise la réalité pour la rendre supportable.


On peut alors se dire :


  • « Ce n’est pas si grave, il a juste eu une mauvaise journée. »

  • « Si je pars, je vais tout perdre. »

  • « C’est moi qui suis trop sensible. »


Ces pensées apaisent temporairement, mais entretiennent le brouillard.Et ce brouillard devient parfois un outil de contrôle : tant qu’on doute de soi, on reste.

 

Une première lumière

Il n’est pas nécessaire de prendre de grandes décisions pour retrouver un peu de clarté. On peut simplement s’asseoir quelques minutes. Sentir ses appuis. Respirer. Faire venir doucement une situation confuse et, au lieu de l’analyser, observer ce que le corps raconte : un serrement, une chaleur, un vide. Puis revenir au souffle.


Et peut-être écrire une phrase, comme une balise :

« Une partie de moi voit la réalité clairement. »


Ce n’est pas un test de vérité. C’est un retour à soi.Un premier geste de confiance envers son ressenti.

 

Retrouver sa cohérence

La dissonance cognitive n’est pas une défaillance. C’est un signal. Un appel du corps à réaligner ce que l’on ressent, ce que l’on pense et ce que l’on vit.


Nommer ce brouillard, c’est déjà un pas vers soi. Un pas vers cette part intérieure qui sait, même quand tout semble flou. Une étincelle de clarté au milieu du chaos. Se mentir à soi-même est une stratégie humaine, profondément ancrée.


Et parfois, ce simple geste — croire ce que l’on ressent — devient le premier fil d’un nouveau tissage.

Un fil discret, mais tenace.

 

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